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Déjà vu au CSV

Quand le passé devient programme électoral

Au Luxembourg, ce pays paisible de citoyens bien éduqués, généralement accommodants et bien en chair, la paix sociale semble dangereusement en train de déraper. Le 28 juin 2025, plus de 25.000 personnes sont sorties de leur routine pour descendre dans les rues de la capitale, en signe de protestation. À l’appel des syndicats OGBL et LCGB, le message était aussi difficile à ignorer que le logo du CSV sur le projet de réforme des retraites.

Ce qui pourrait ressembler à un simple accès de colère passager est en réalité une réédition quasi exacte de l’année 1973 – sauf que les slogans, désormais, défilent dans les fils d’actualité des réseaux sociaux, plus sur les murs des usines.

Luc Frieden, ancienne icône de la finance et désormais Premier ministre au charme d’un relevé de compte bancaire, a des plans fantastiques: baisse des pensions, allongement des années de travail, restriction du droit de manifester, généralisation du travail dominical, et – idéalement – musellement des syndicats. Tout cela bien sûr au nom de la «modernisation». Quiconque y croit croit sans doute aussi que CSV signifie Courage, Solidarité et Vision.

Il sert son néolibéralisme avec le sourire avenant d’un conseiller bancaire, parle de «politique responsable pour l’avenir», entende : une politique sociale gérée via feuilles Excel. Son chef-d’œuvre? Une réforme des retraites conçue comme une redistribution verticale – des bas salaires vers le haut, en PowerPoint bien sûr.

Beaucoup de symboles, très peu de substance

Le 1er mai, lorsqu’il a fait une brève apparition à la fête syndicale, certains y ont peut-être vu un geste de dialogue ou de respect. Lui, pensait vraisemblablement à la moutarde et aux photos de presse. Après quelques poignées de main, une saucisse grillée et deux selfies avec de vrais syndicalistes, il a quitté les lieux. Même pas le temps de laisser refroidir le barbecue.

Grande symbolique, zéro contenu: la saucisse grillée fut le point culminant du dialogue social façon Luc Frieden.

Le 13 juin, Luc Frieden se vantait encore de ne pas s’intéresser à la manifestation annoncée: ce jour-là, il préférait aller se promener en forêt. Nature, sérénité… plutôt que clameurs populaires.

Mais le 28 juin, sur RTL en direct, virage soudain: «Je n’étais pas en forêt. J’étais à la maison, et j’ai suivi de près la manifestation.» On appelle ça, sans doute, de la spontanéité politique.

AMNéSIE

Encore plus savoureux: dans le même entretien, Frieden affirme être profondément choqué par l’accusation qu’il dirige le pays comme un PDG. Hélas pour lui, c’est exactement ce qu’il affirmait le 3 janvier 2024 sur RTL: «Le Premier ministre est comme le PDG d’une entreprise.»

Et lorsque la journaliste le relança, il confirma sans détour: «Sur le plan de la méthode de gestion, je pense que c’est même absolument nécessaire.»

Certains politiciens n’ont pas besoin de porte-parole. Ils se contredisent très bien eux-mêmes – en direct.

25.000 personnes dans la rue? Selon l’interprétation sociologique, chacune représente symboliquement dix autres. Petit calcul rapide: 250.000 sympathisants potentiels, sur 320.000 électeurs. Soit 78%. Espérons que les murs du bureau de Luc Frieden ne soient pas trop épais pour que la colère du peuple lui parvienne.

Il y a des scènes qu’on ne voit qu’en politique. L’ancienne ministre de la Justice, Sam Tanson (Les Verts), architecte intellectuelle de l'avant-projet de loi anti-manifestation hautement répressive, défilait, tout sourire, aux côtés de celles et ceux qu’elle voulait jadis faire taire à coups de lois. On appelle ça un «trou de mémoire pragmatique» en langage partisan. Ou tout simplement: Luxembourg.

CSV 1973 vs. CSV 2025 – Deux époques, une seule erreur

Le CSV semble avoir un faible pour les remakes. En 1973, il gouvernait avec le DP sous Pierre Werner. Résultat : manifestation de masse, dégringolade électorale, et départ du gouvernement après les élections de 1974.

2025? Le CSV gouverne à nouveau avec le DP, cette fois sous Luc Frieden. Résultat: manifestation de masse, chute vertigineuse dans les sondages, et en Une du Luxemburger Wort: «Luc Frieden s'effondre dans les intentions de vote.»

Qui a encore besoin d’un cours d’histoire quand la réalité se recycle toute seule?

Même si Luc Frieden voit dans le dialogue social un obstacle, dans le droit de manifester une variable négociable, et dans les pensions un luxe trop coûteux: le vent syndical souffle plus fort que jamais sur les rues de la capitale.

Et si le 9 octobre 1973 était une bande-annonce du 28 juin 2025, alors la manif d’hier pourrait bien être le début d’un tournant.

Car au final, ce n’est pas le compte bancaire du Premier ministre qui fait foi – mais bien la mémoire collective du peuple. Et elle dit, haut et fort: «Et geet duer! – Ça suffit!»


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