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Béton politique, fissures scientifiques

Quand la science démonte les mythes et que les bombes font les trous dans le budget

Le mur des retraites arrive. Depuis déjà 35 ans. Et nous fonçons dedans tête baissée – du moins si l’on en croit les politiciens. On nous dit que les gens vivent de plus en plus longtemps et que le système ne serait plus finançable. Mais est-ce vraiment vrai? Vivons-nous réellement plus longtemps? Voilà que la science prend la parole – et elle dit: non.

Depuis des décennies, on nous martèle d’en haut: les gens vivent de plus en plus longtemps – trop longtemps. Le système des retraites serait au bord de l’effondrement, et des réformes (c’est-à-dire des détériorations) seraient inévitables. Depuis 35 ans, nous sommes en train de foncer droit dans le «mur des retraites». Une expression forgée par Jean-Claude Juncker au début des années 1990, lorsqu’il a compressé la question des pensions en un slogan simplifié pour que tout le monde comprenne de quoi il s’agissait. Depuis, le mur est là – et il est régulièrement cité dès qu’il s’agit de remettre en question des acquis sociaux.

Mais une nouvelle étude venue des États-Unis ose remettre en cause l'histoire de Juncker, avec des données qu’on ne peut pas balayer d’un revers de main comme de la «logorrhée académique». En plein débat sur la réforme des retraites, où les politiciens scrutent sans cesse l’horloge démographique, la prestigieuse revue scientifique PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America) publie une étude et dit: «Attendez un peu, ce n’est pas aussi grave que vous le prétendez.» Quelle irresponsabilité de la part des chercheurs! Juste maintenant, alors que le processus de réforme avançait si bien…

L’ESPÉRANCE DE VIE AUGMENTE BEAUCOUP MOINS VITE

Des chercheur·e·s de l’Université Stanford et de l’Université du Wisconsin-Madison ont mené une étude intitulée «Cohort mortality forecasts indicate signs of deceleration in life expectancy wins» (Les prévisions de mortalité par cohorte indiquent un ralentissement des gains en espérance de vie). Au lieu de se contenter de moyennes et de projections globales, ils ont analysé la mortalité de cohortes entières, c’est-à-dire: combien de temps vivent les personnes nées à une certaine époque, et comment cela évolue au fil des décennies.

Le résultat: L’espérance de vie continue certes à augmenter, mais beaucoup plus lentement qu’auparavant. Dans les 23 pays étudiés, elle ne progresse plus qu’à moitié du rythme des décennies précédentes, voire encore moins dans certains cas. Les chercheur·e·s parlent d’un «ralentissement de l’espérance de vie». Ce n’est pas un simple détail technique, mais une donnée qui bouleverse les fondements de notre système social.

Et les politiques? De nombreuses décisions – notamment en matière de retraites – reposent sur des modèles qui supposent que nous ferons encore du Nordic Walking à 95 ans. Mais si cette hypothèse vacille, c’est toute l’argumentation qui s’effondre.

Ce que montre l’étude:

  • Les progrès médicaux fonctionnent, mais atteignent leurs limites.
  • Les maladies chroniques, les inégalités sociales et les facteurs environnementaux freinent fortement la hausse de l’espérance de vie.
  • L’idée que nous vivrons tous bientôt jusqu’à 100 ans est une fable. Aussi crédible qu’une promesse électorale.

Les chercheur·e·s ont voulu comprendre comment l’espérance de vie évolue au sein des cohortes, pas seulement en moyenne. Plutôt que de regarder combien vivent les gens aujourd’hui et extrapoler, ils ont analysé la mortalité des personnes nées à des années précises.

L’étude repose sur:

  • Des données de mortalité à long terme dans 23 pays
  • Des calculs par cohorte, analysant l’évolution sur plusieurs décennies
  • Des cohortes concrètes (ex. : génération 1960)

Ce qui est particulièrement intéressant: Les chercheur·e·s n’ont pas fait de simples projections, mais ont élaboré des scénarios réalistes en intégrant des facteurs médicaux, sociaux et économiques.

Le ralentissement est net: Entre les années 1950 et 1990, l’espérance de vie augmentait d’environ 3 ans par décennie dans de nombreux pays. Aujourd’hui, on est plutôt autour de 1,5 an – voire moins. La tendance s’essouffle clairement. Et le fameux «mur des retraites»? Ce n’est peut-être qu’une colline, tout à fait franchissable.

QUEL ÂGE ALLONS-NOUS ATTEINDRE ALORS?

 

La réponse: Pas aussi vieux que certaines prévisions l’avaient promis. Mais pas de panique: nous ne mourrons pas soudainement plus tôt. Selon cette nouvelle étude, l’augmentation de l’espérance de vie ralentit. Les écarts entre les groupes sociaux deviennent de plus en plus marqués, et les progrès médicaux ont atteint leurs limites.

Pour la plupart des gens en Europe, cela signifie que l’espérance de vie en 2050 se situera entre 82 et 85 ans, selon le pays et les conditions de vie. Il n’y aura donc pas de bond vers 95 ou 100 ans.

LES RICHES VIVENT-ILS PLUS LONGTEMPS QUE LES PAUVRES ?

L’étude en question n’examine pas directement les différences sociales telles que le revenu ou le niveau d’éducation. Mais d’autres recherches, comme celles de l’Institut allemand de recherche économique ou de l’Institut Robert Koch, montrent que ce n’est pas uniquement une question d’argent, mais aussi de conditions de vie.

Les personnes aisées vivent plus longtemps parce qu’elles :

  • mangent sainement
  • bénéficient de meilleurs soins médicaux
  • subissent moins de stress (sauf en cas de krach boursier)
  • vivent dans un environnement plus propre
  • ont davantage de connaissances sur la santé

Les personnes à faible revenu ont, quant à elles, une probabilité plus élevée de:

  • souffrir de maladies chroniques
  • subir un stress psychologique
  • travailler dans de mauvaises conditions
  • avoir un accès limité aux mesures préventives et thérapeutiques

Le fossé ne cesse de se creuser. Même si l’espérance de vie continue d’augmenter légèrement en général, tout le monde n’en bénéficie pas de manière égale. Ce n’est pas seulement un problème de santé, mais aussi une question sociopolitique, par exemple dans les débats sur les retraites ou le système de santé.

Les auteurs de l’étude confirment que le ralentissement de l’espérance de vie ne s’explique pas uniquement par des facteurs biologiques ou médicaux, mais que les facteurs sociaux jouent également un rôle.

Mais bon, ce n’est pas le sujet principal de cette étude. Et après tout: c’est pour ça qu’on a des politiciens, censés s’engager pleinement pour la justice sociale. Théoriquement. En année électorale. Pendant trois semaines, le temps de la campagne.

CETTE NOUVELLE ÉTUDE EST SCIENTIFIQUEMENT FONDÉE ET FOURNIT DES FAITS

L’étude a été publiée dans la revue renommée PNAS, une publication où les textes ne sont pas validés à la légère. La qualité prime sur la quantité.

Avant sa publication, les résultats ont été examinés par d’autres scientifiques (évaluation par les pairs – autrement dit, l’opposé des applaudissements lors d’un congrès du CSV).

L’étude est interdisciplinaire, ce n’est donc pas le travail d’un seul statisticien, mais celui d’une équipe issue de plusieurs disciplines.

Les articles de la revue PNAS sont souvent cités – dans d’autres études, dans les médias, et parfois même dans le cadre de décisions politiques… tant que cela convient aux responsables politiques.

Cette étude n’est donc pas un papier griffonné à la va-vite au comptoir d’un bistrot, mais une contribution scientifiquement fondée au débat sur l’espérance de vie humaine. Et par conséquent, un potentiel trouble-fête pour tous ceux qui préfèrent les slogans aux faits.

QUE SIGNIFIE CELA POUR LE LUXEMBOURG?

Au Luxembourg, on aime brandir le concept du «mur des retraites», ce moment supposé où le système s’effondrerait parce que les gens vivraient trop longtemps et que trop peu de jeunes viendraient les remplacer. Même le pape François, lors de sa visite en septembre 2024, a reconnu ce fameux mur et a exhorté les Luxembourgeois à faire plus d’enfants. Une idée divinement inspirée venue d’en haut, mais qui, ici-bas, dans la réalité, est pratiquement irréalisable à cause des prix exorbitants du logement et du coût élevé de la vie.

Si l’espérance de vie n’augmente plus aussi rapidement, à quelle distance se trouve alors ce mur des retraites? Ou bien n’est-ce qu’un décor politique, dressé chaque fois qu’il faut faire passer des réformes?

Quoi qu’il en soit, la nouvelle étude apporte des arguments solides pour une discussion plus factuelle. Elle ne dit pas: «Tout va bien.» Mais elle affirme: «L’évolution est plus complexe qu’on ne le pense, et il n’y a pas lieu de paniquer.»

Les résultats de la recherche ne constituent pas un manifeste contre une réforme des retraites, mais ils apportent de la clarté sur plusieurs points. Lorsqu’on débat de l’avenir du système de retraite, il est essentiel que des personnes comme le nouveau Luc, la ministre sociale Deprez, ainsi que les syndicats, s’appuient sur des données actuelles, et non sur des modèles des années 1980 ou 1990.

Avec leur étude, les chercheurs livrent des vérités dérangeantes, qui méritent d’être examinées de plus près.

LE VÉRITABLE MUR: ÉTAT SOCIAL VS. BUDGET MILITAIRE

Au lieu de mener le débat sur les retraites à partir de modèles poussiéreux d’un autre temps, les syndicats devraient se poser la question suivante: pourquoi, précisément en ce moment, des discussions sur des réformes des retraites ont lieu dans toute l’Europe? Allemagne, France, Belgique, Pologne, Royaume-Uni, Danemark (où l’âge de la retraite a même été relevé à 70 ans). Pourquoi remet-on en cause l’État social maintenant? Le chancelier allemand Merz l’a récemment dit clairement: l’État social n’est plus finançable. Rien d’étonnant, quand dans le même temps des milliards sont empruntés pour être investis dans l’armée et l’armement. Le Premier ministre français Bayrou s’est exprimé dans le même sens – et a reçu en réponse une grève générale, le 10 septembre 2025, sous le slogan «bloquons tout».

La réponse ne se trouve pas dans la biologie, mais dans le budget. Ce ne sont pas les citoyen·ne·s qui, par leur âge, font exploser le système, mais bien les dépenses militaires et d’armement en constante augmentation. Avec des fonds détournés de la caisse sociale vers le coffre de guerre.

Le «mur des retraites»? Un simple prétexte pour économiser des centaines de millions et acheter à la place des chars, des drones et des satellites militaires.

Quand le mur commence à vaciller, c’est tout le récit qui tremble.

Peut-être est-il temps de retirer ce mur des retraites de la scène politique. Il a rempli sa fonction: servir de menace, d’argument supposé, de bloc rhétorique en béton. Mais maintenant que la science affirme «ce n’est qu’à moitié aussi grave», une seule question demeure: qui construit ce mur, et qui en profite réellement?

Si l’espérance de vie augmente plus lentement que prévu, mais que les dépenses militaires grimpent plus vite, une chose devient évidente: le seul mur qui grandit vraiment, c’est celui entre le bon sens social et la démesure géopolitique.


Lien vers l'étude dans la revue scientifique PNAS:

https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2519179122


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