L’art peut choquer, mais il ne doit pas faire oublier.
Les «Éisleker Metal Frënn» ont réussi ce que l’on croyait longtemps impossible. Ils n’ont pas révolutionné la scène musicale, mais avec la venue du groupe de metal écossais «Holocaust», ils ont déclenché un vif débat sur les réseaux sociaux. Partout dans le pays, des affiches annoncent en grandes lettres «Holocaust» comme tête d’affiche du festival de metal prévu le 29 septembre à Rambrouch.
Que signifie inviter un groupe dont le nom est, dans le monde entier, synonyme d’extermination industrielle et systématique de plus de six millions de Juifs, de Sinti et Roms, d’opposants politiques, d’homosexuels et de personnes qualifiées d’«antisociaux» par les nazis? Un terme qui incarne comme nul autre l’effondrement des valeurs humaines. Mais peu importe, tant que les guitares font vibrer le public, que la provocation est «cool» et que la mémoire devient secondaire.
Lettre de Réclamation adressée à la Commune de Rambrouch
Luxembourg Jungle dispose d’une lettre de réclamation adressée à la bourgmestre Myriam Binck (CSV) de la commune de Rambrouch. La commune a mis son centre culturel à disposition des Éisleker Metal Frënn pour le concert du groupe Holocaust.
Dans cette lettre bien argumentée, l’autrice souligne que «ce groupe cherche la provocation. Sur leur site, ils expliquent le choix du nom : les groupes de heavy metal doivent frapper comme une bombe atomique.» Elle ajoute: «Quoi qu’il en soit, le nom Holocaust est une provocation, en premier lieu envers la communauté juive, mais aussi envers toute personne dotée d’une conscience historique.»
Et encore:
«À chacun son mauvais goût, mais utiliser l’extermination de six millions de Juifs, au moins 250 000 Sinti et Roms, plus de trois millions de prisonniers de guerre russes, environ 300 000 personnes handicapées, des milliers de prisonniers politiques et d’homosexuels comme outil de provocation, ce n’est plus du mauvais goût — c’est une provocation qui mérite une réponse appropriée.»
L’autrice précise qu’elle ne soupçonne nullement le groupe Holocaust de vouloir séduire des néonazis, mais elle pose la question légitime: Rambrouch a-t-elle besoin d’une telle provocation?
En conclusion, elle demande aux organisateurs d’informer le groupe qu’il ne pourra pas se produire ce soir-là à Rambrouch, et de veiller à ce que le concert ne devienne pas un point de rassemblement pour des néonazis.
Qu’il existe parfois un certain lien entre la scène heavy metal et les milieux d’extrême droite, c’est ce que décrit un article bien documenté intitulé «Metal and the Holocaust: Too Much Transgression?» publié sur le site juif JewTh!nk. Même le magazine musical renommé Rolling Stone s’est déjà penché sur le sujet et pose les mêmes questions dans un article intitulé «Wie rechts kann Metal sein? Eine Szene zwischen Provokation, Politik und Rebellion» («Jusqu’où le metal peut-il pencher à droite ? Une scène entre provocation, politique et rébellion»).
Jusqu’où peut-on provoquer au nom de l’art ?
Bien sûr, l’argument de la liberté artistique est bien connu. Et dans ce cas précis, on lit sur les réseaux sociaux des justifications comme : «Ce n’est que de la musique», «Le nom du groupe date des années 80», «Ils n’ont pas d’intention politique», etc.
En mai 2025, le rappeur Keyano West, qui a fait scandale avec son morceau Heil Hitler!, s’est exprimé dans des termes similaires. Bien que sa chanson se termine par un discours original d’Hitler, il s’est justifié en invoquant la liberté artistique.
Le groupe Rammstein a publié en 2019 un clip dans lequel ses membres apparaissent en tenues de déportés, avec une étoile de David jaune cousue sur la poitrine et une corde autour du cou, visiblement avant leur exécution. Ce clip avait déjà suscité de vives critiques.
L’art peut beaucoup — mais pas tout. Il peut provoquer, faire réfléchir, déranger, mais il ne doit pas banaliser, relativiser ou piétiner la mémoire. La liberté artistique s’arrête là où la sensibilité de la mémoire collective est méprisée — que ce soit par une transgression volontaire, le mauvais goût ou l’ignorance. Quiconque cherche à se rendre intéressant aux dépens de la souffrance, de la misère et des atrocités du passé ne fait pas de l’art. Combien de provocation l’art peut-il se permettre avant de sombrer dans la farce? Et la farce, on le sait, n’est pas une forme d’art — elle est souvent simplement pénible.
érosion culturelle
Le post Facebook des Éisleker Metal Frënn montre l’euphorie avec laquelle le concert de Holocaust est annoncé. Le groupe explique son nom comme une métaphore musicale du danger nucléaire. Une métaphore floue, mais un effet bien réel: le véritable holocauste passe à l’arrière-plan, devient une note de bas de page, au lieu d’un appel à la mémoire. La liberté artistique est-elle vraiment l’ultime argument quand il s’agit de mémoire?
Peut-être que le groupe Holocaust a choisi ce nom comme un acte volontairement controversé, une métaphore musicale. Mais dans l’espace public, l’intention perd son effet protecteur. L’impact se produit là où la mémoire rencontre la visibilité, et où un mot comme Holocaust ne choque plus, mais est accepté silencieusement — comme un accord tacite. Ce n’est plus une provocation, mais un signe d’érosion culturelle.
Luxembourg Jungle ne serait pas Luxembourg Jungle si nous n’avions pas encore quelques noms de groupes cyniques en réserve: «Hitler & Friends», «Congo Carnage», «Genocide Groove», «LGBTQ Hate Machine» ou «Killing Minorities» – des noms qui n’attendent que leur premier scandale. La provocation comme stratégie de marque? Il y a encore de la marge. Les limites du mauvais goût sont loin d’avoir été atteintes.
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